vendredi 9 novembre 2012

Le Propos

OÙ LE SUJET TROUVE-T-IL SA PLACE ENTRE DéTERMINISME ET LIBERTé ? 

«Stop à la douleur!»
« Accoucher zen en 20 leçons ! »
«Comment retrouver son poids en deux mois !»
«Tout ce qu’il faut savoir sur les hémorragies au cours de la grossesse» «Plan de financement pour la naissance»
«Un couple uni peut-il traverser des turbulences pendant la grossesse?*
» 


L’évolution de la médecine qui gère le corps dans une efficacité technique et diagnostique sans faille et sans reproche; la contraception qui donne l'impression de pouvoir programmer le désir d'enfant; les diktats modernes de l’accomplissement personnel; tout cela concourt à l’idée d’un enfant parfait et à une construction de soi comme mère/parent parfait-e.
Il n’y a pas si longtemps, les femmes n’avaient pas d’autre choix que de vivre la maternité comme seule ambition, seul investissement narcissique. Le changement de paradigme sociétal a complètement bouleversé les rapports à soi, aux hommes et à la maternité. Dans ce contexte, les aspects subjectifs de la maternité se trouvent le plus souvent éludés, au profit d'un contrôle médical et symbolique absolu. Tout ce qui pourrait remettre en question ces stéréotypes est un réel tabou, faisant vaciller, entre autre l'idée que la maternité est au cœur du destin féminin. Ogawa transgresse ce tabou en mettant en danger l'injonction de
réalisation de soi par la grossesse. Nos représentations de la maternité, du couple, de l'accomplissement de soi, des rôles au sein de la famille en sont chamboulées et doivent être questionnées, reformulées. Elle force à assumer l'ambiguïté de ces projections de soi. Et c'est précisément dans l'acceptation de cette ambivalence qu'il y a résistance aux normes établies. 


LA FOLIE MATERNELLE

Les psychiatres et les psychanalystes parlent même parfois de «folie maternelle», pour parler des enjeux psychiques de la maternité. Cette folie serait «un état qui nous échappe, qui nous déborde, une audace d’émotions, d’affects, de comportements ou de paroles, qui n’acquiert jamais, en d’autres circonstances, une telle intensité.**»
La grossesse, ce temps limité par une échéance qui ouvre sur une vie nouvelle, n’est-elle pas paradoxalement, la meilleure représentation de la mort ? Le pouvoir de donner la vie réveille un sentiment de toute-puissance et à la fois, la future mère sait que tout ce processus ne tend que vers la séparation. Cette ambivalence provoque un vacillement des traits identitaires de la femme. Mais ce n’est qu’au travers de cette lutte entre le moi et le non-moi, l’amour et la haine, la vie et la «destructivité », que l’attachement et la relation à l’enfant va pouvoir s’instaurer.
Mon envie est d’utiliser la thématique de l’enfantement, en ce qu’il bouleverse et révèle en nous de désirs contradictoires, de violences, d'ambivalences, de remise en question de nos rôles sociaux. La maternité n'est pas le monopole de l'identité féminine, mais une question de société. 

Existe-t-il un instinct maternel ?
Pourquoi désire-t-on faire un enfant ?
Pour satisfaire un désir narcissique? Pour répondre à une attente sociale ?
Pour laisser quelque chose après ma mort ? Pour qu'il perpétue mes idéaux ?
Est-ce qu'on saura être de bons parents pour cet enfant ? Ne risque-t-on pas d’engendrer un monstre?
Ne vais-je pas perdre ma liberté ?
Que donne-t-on lorsqu’on met un enfant au monde? La vie ? La mort ?

Se pose-t-on vraiment ces questions ? 

Je désire partir d’une perspective très intime et qui touche à nos propres limites, pour créer un effet révélateur de la manière dont notre société «gère» l’individu, dans une perspective productiviste, le vivant étant devenu un enjeu du pouvoir. Parallèlement, j'introduirai une perspective plus sociale et analytique pour permettre de révéler des formes de résistance dans l'expérience ; comment les individus jouent de ces normes et s'inventent à partir d'elles. 

« Le problème à la fois politique, éthique, social et philosophique qui se pose à nous aujourd'hui n'est pas d'essayer de libérer l'individu de l'État et de ses institutions, mais de nous libérer, nous, de l'État et du type d'individualisation qui s'y rattache. Il nous faut promouvoir de nouvelles formes de subjectivité. » Michel Foucault***



* titres d’articles du magazine Neuf Mois, (2011), Paris : Bleu com Editions
**David, H. (2006), La Folie Maternelle Ordinaire, Paris : puf
***
Foucault, M. (1982), Le Sujet et le Pouvoir in Michel Foucault : Beyond Structuralism ans Hermeneutics, The University of Chicago Press